Sermon sur le "Principe et Fondement"

PRINCIPE ET FONDEMENT

« Exercices Spirituels » de saint Ignace, n° 23

L’homme est créé pour louer, révérer et servir Dieu notre Seigneur
et par là sauver son âme,
et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme
et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé.

D’où il suit que l’homme doit user de ces choses
dans la mesure où elles l’aident pour sa fin
et qu’il doit s’en dégager dans la mesure
où elles sont pour lui un obstacle à cette fin.

Pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents
à toutes les choses créées,
en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre-arbitre et ne lui est pas défendu ;
de telle sorte que nous ne voulions pas, pour notre part, davantage
la santé que la maladie,
la richesse que la pauvreté,
l’honneur que le déshonneur,
une vie longue qu’une vie courte
et de même pour tout le reste,
mais que nous désirions et choisissions uniquement
ce qui nous conduit davantage
à la fin pour laquelle nous sommes créés.

SERMON POUR LA CLÔTURE
DE L’ANNEE JUBILAIRE IGNATIENNE 2005-06

En cette fin de notre année jubilaire ignatienne, j’ai choisi de commenter un des textes fondamentaux de saint Ignace : le Principe et Fondement qui se trouve au tout début des « Exercices Spirituels ». Il peut certes paraître fort abstrait, et il l’est, mais il décrit une attitude spirituelle essentielle qu’ont essayé de mettre en pratique les premiers compagnons d’Ignace, le bienheureux Pierre Favre et saint François Xavier dont nous commémorons le 500e anniversaire. A leur exemple, chaque membre de la famille ignatienne, jésuite, religieuse ou laïc est invité à faire sienne cette attitude intérieure et à s’y exercer s’il veut réaliser ce que Dieu attend de lui dans sa vie.

D’emblée, saint Ignace place l’homme en rapport avec Dieu. Nous ne sommes pas d’abord maîtres de notre propre vie ni laissés à nous-mêmes pour nous débrouiller seuls dans un monde hostile. Non, l’homme est situé dès le départ en relation, dans un rapport vivant avec Dieu qui lui donne la vie, la liberté, une personnalité propre. Or toute relation est basée sur l’échange. Nos vies reçoivent ainsi un sens, une orientation bien particulière : rendre librement à Dieu tout ce qui nous est possible, nous placer devant Dieu pour tout choix et projet personnels pour y rechercher avant tout sa plus grande gloire. Celle-ci se décline de trois manière pour Ignace :

  • la louange, prière de reconnaissance et de gratuité par excellence,
  • le respect que des fils et filles de Dieu doivent à celui à qui ils doivent tout,
  • le service ou l’engagement au nom de l’évangile.

La foi et l’expérience spirituelle personnelle nous enracinent dans la confiance de trouver le bonheur de cette manière. Ceci d’autant plus que le Créateur et maître de tout a confié à notre liberté le soin de sa création, la mettant au service de l’oeuvre d’accomplissement à laquelle nous pouvons collaborer. Tâche et dignité merveilleuses, mais aussi redoutables - le 20e siècle nous a montré jusqu’à quels sommets d’horreur l’irresponsabilité de l’homme peut conduire la création !
C’est que l’homme oublie bien vite qu’il n’a été institué ni maître ni esclave, mais intendant de l’oeuvre de Dieu. Il est appelé à toujours à nouveau se situer à sa juste place : ni Dieu ni objet, mais sujet libre et responsable. Cette définition de la juste place de l’homme n’a rien perdu de son actualité ! Il suffit de voir combien de nos contemporains sont victimes de rythmes de travail sur lesquels ils n’ont pas de prise, combien la consommation effrénée nous asservit à nos plaisirs et besoins primaires, combien le stress nous empêche de vivre pleinement.

Le message d’Ignace peut donc nous amener à prendre du recul et à remettre chaque chose à sa place : l’homme au centre, mais l’homme libre et responsable devant Dieu, non pas l’homme-pantin de l’économie et de la société de consommation, et tout objet, tout projet relativisé par rapport à la destinée spirituelle de l’homme. Ignace appelle « indifférence » cette relativisation des choses. Devenir indifférent, ce n’est pas devenir insensible à ce qui m’entoure, mais avoir un recul suffisant pour choisir ce que je veux. En me sachant limité par la loi de Dieu et ma conscience : faire du tort à quelqu’un, ruiner ma santé ou délaisser mes responsabilités de conjoint ou de parent ne peut pas faire l’objet d’un choix chrétien !
L’achat d’une maison ou d’une nouvelle voiture par contre (« richesse »), la poursuite d’une carrière professionnelle (« honneur ») ou le rythme de vie personnel et familial (« santé », « vie courte ou longue ») ne peut pas se faire pour un chrétien sans chercher à savoir ce que Dieu veut pour nous à ce moment. Ni sans nous replacer dans la perspective fondamentale de notre vie. Sinon nous risquons d’être les jouets de nos caprices, prisonniers du regard des autres ou esclaves de dynamiques déshumanisantes.

En cette fin de l’année ignatienne, il peut être bon de nous rappeler qu’Ignace, Pierre Favre et François Xavier sont précisément devenus « amis dans le Seigneur » parce qu’ils ont subordonné tout à leur désir commun de servir Jésus-Christ, le Seigneur de toutes choses. En nous laissant entraîner comme eux par un amour reçu d’en haut, nous deviendrons libres pour aimer, dans une fraternité de louange, de respect des autres et de la création, et de service.

Josy Birsens s.j.
3 décembre 2006

Josy BIRSENS sj
6 janvier 2007
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